Hmm! Sacrée Toto!
Rideaux, pochettes et pellicules, décors, projecteurs et
micros, textes et notes.
Le brigadier a frappé ses trois coups,
et tes pas se sont perdus dans le Tragique,
la Dérision, entre l’Absurde et le Comique.
Tes pas se sont pris les pieds dans tes châles, tes affiches
et autres calicots,
et tes petits bibelots,
colifichets et brimborions,
ah! mais si pleins de souvenirs.
Me souviendrai toujours de ce morceau de cul de bouteille que
tu m’avais envoyé de Paris, disant: “Il vient de notre Pays.
Ce n’est rien que du verre, mais imagine tout ce qu’il te
dira, de nos champs de canne à sucre,
Tes pas si tu l’approches de ton oreille gauche”.
Bien sûr, je poétise, mais si peu.
Tes pas se sont finalement empêtrés dans les dédales et
détours de la vie, mais tes traces,
tes empreintes, et tes interventions, demeureront,
mémorables et formatrices, telle
une prenante, crédible présence. Et j’y veillerai.
Hélène aussi.
Hélène aussi, qui me rappelait la mise en scène
de ce soir où tu es rentrée chez toi malgre nos objections
seule, comme une grande qui n’a point besoin de chaperon, ce
soir où comme un fantôme, traversant la Place Saint-Pierre
et disant au soldat qui te demandait
qui sait, peut-être peureux ?
Se moun ou ye ? “,
car toi, mimant démarche de zombi,
robe longue, tu t’aventurais seule
dans la nuit de ton lieu, et tu as répondu, l’index sur la
bouche,
chantonnant quelque chanson de ce pays profond, tu as répondu
à ce petit soldat,
probablement tout bourré de sommeil, certainement de vodou:
Hmm ! . . . Chuuuuuuuuuut”.
Et comme une grande, tu as rejoint ton domicile
à la Tête de l’Eau. Sacrée Toto !
Aujourd’hui le brigadier a frappé ses trois coups.
A Montréal, à Santo-Domingo, dans les couloirs
du Palais de Christophe, sur écran fantôme
ou sillon d’acétate.
Ma parole d’aujourd’hui s’accordera-t-elle
à la tienne ?
Et, à la Promenade, à Pétion-Ville,
dirai-je avec quelqu’un d’autre, ce poème
de Michael Norton: “J’aime comment tu aimes, comment je
t’aime ?
Aujourd’hui, les trois coups du brigadier ont souligné ta
sortie de scène,
et je nage dans une mémoire de voix,
dans l’absence d’une petite grande dame.
Et je joue aux quilles dans la bride des rumeurs.
Les rues m’entourent et me divisent,
je décode et décante ce qui se dit,
ce qui palpite de bouche à oreille.
L’espoir est un pétard mouillé.
A l’impromptu des matines,
quand tu disais ton amour pour notre carré de kilomètres, tu
renaissais plus fleur que jamais, le ciel dans nos coeurs
devenait passoire
d’étoiles coulée de miel.
Tu as coulé ton eau claire,
au long de cette liberté qui nous rapprochait, avançant ton
arithmétique en deux plus deux,
en deux plus deux, plus mille.
Lorsque tu remontais les gammes des poètes
que tu aimais, jamais tu ne cachais de main derrière ton
dos-lumière. . .
Bien au-delà de la mi-nuit classique,
aucun volet de ta maison ne s’écriera:
“Fous le camp, Comédienne !”.
Car tu campes désormais sur les planches,
tu as pris possession de la scène entière,
comme dans “Songe que fait Sara”.
Cette pièce de Syto Cavé.
Circulaires sacrifices, qui donc contestera la légèreté de la
cendre ?
Une irritante musique
inquiète le départ de l’orchestre.
Toto,
Je tiens encore le coup, en diagonale sur cette tentation de
géographie qui fut nôtre.
Mais, de plus en plus, mes rêves se rapetissent, ces rêves que
nous faisions
pour notre carré de terre.
Je me suis donc acheté, ce matin, un calepin, petit, tout
petit,
dans lequel consigner mes joies…
Bien sûr, tu lis par-dessus mon épaule,
et je l’entends de nouveau, ton bruit familier,
son ironique et si particulier de gorge: “Hmm !”
Anthony Phelps